Nous voici de retour ! Comme hier, je vais essayer de vous raconter en direct cette deuxième journée du congrès de l’AFS (le direct de la première journée est ici).
9h
La matinée est consacrée aux « Etats généraux de la sociologie ». Les premiers du genre avaient été organisés lors du précédent congrès de l’AFS, à Paris en avril 2009, dans le contexte particulier des mouvements sociaux dans la recherche et l’enseignement supérieur.
Les deux premières sessions de la seconde édition de ces Etats généraux, qui se tiennent en parallèle, sont consacrées d’une part à l’évaluation, et d’autre part aux conditions de travail en sciences humaines et sociales. Difficile de choisir ! J’opte pour l’Amphi 9, où le débat est consacré à l’évaluation. Ca ne commence pas très bien avec l’intervention de Marie-José Del Volgo, une psychologue clinicienne de la faculté de médecine d’Aix-Marseille, dont le propos très technophobe me paraît un peu fumeux [voir la vidéo]. Heureusement, Marie-Anne Dujarier, qui lui succède, entre immédiatement dans le vif du sujet, en s’appuyant sur les acquis de la sociologie du travail et des organisation pour esquisser (en dix minutes seulement, mais son propos est très dense) une analyse très concrète des effets de l’évaluation sur le travail [voir la vidéo]. Si vous voulez en savoir plus, n’hésitez pas à aller lire son article, paru en 2010 dans le dernier numéro de feu les Cahiers internationaux de sociologie, qui était justement consacré à l’évaluation. L’article de Marie-Anne Dujarier n’est malheureusement pas disponible gratuitement en ligne en texte intégral, mais le résumé est accessible ici.
A sa suite, Patrick Vassort, qui en 2005 avait co-écrit avec Nicolas Oblin un ouvrage intitulé La crise de l’université française, dénonce la quantophrénie, autrement dit la pathologie de la quantité dont serait victime l’université française, au détriment de toute attention à la qualité des recherches et des connaissances produites. Le propos est véhément, mais un peu stratosphérique, et se conclut sur une dénonciation de la transformation des universités en « appareils stratégiques capitalistes » qui me laisse un peu dubitatif, surtout quand pour finir, Vassort convoque Hannah Arendt pour nous demander : « Regardez votre travail quotidien à l’université et dites-moi si on n’est pas en train de verser dans un monde totalitaire ? » [voir la vidéo]
Pour clore la table ronde, François Vatin, qui avait participé à l’ouvrage récent intitulé Refonder l’université (2010), réintroduit un peu de nuance, en rappelant que celle-ci fait partie depuis longtemps du travail même des enseignants que nous sommes aussi ; mais il pointe un certain nombre de dérives à l’œuvre qui lui paraissent extrêmement dangereuses, et qui tiennent à la progressive disqualification des « humanités » au sens le plus général du terme, et donc à une désaffection des études supérieures en sciences humaines, et même en sciences exactes. En dehors des études médicales et du droit, tous les cursus universitaires voient leurs effectifs décroître de façon spectaculaire, pendant que se remplissent les écoles de gestion. Contre ce mouvement, dont il ne rend pas responsable un gouvernement particulier, François Vatin appel à la défense d’un enseignement « non-utilitariste » [voir la vidéo].
11h
Là encore, il y a le choix entre deux sessions : d’un côté, les réformes, de l’autre l’expertise… Pour moi, ce sera la session sur les réformes, animée par Anne Bory, qui introduit les travaux en faisant l’hypothèse que c’est la dimension réflexive et critique de la sociologie qui lui vaut autant d’attaques…
La première intervenante, Marjorie Galy, qui est la présidente de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (APSES), renchérit en montrant comment cette hypothèse permet aussi d’expliquer les attaques répétées dont l’enseignement des SES au lycée fait l’objet depuis plusieurs années. Face à ces attaques, l’APSES appelle à l’élaboration d’un programme de contournement, appuyé sur un manuel collaboratif en ligne [voir la vidéo].
Les interventions suivantes, de Maryse Bresson [voir la vidéo] et Vérène Chevalier[voir la vidéo], confirment le diagnostic pour ce qui concerne l’enseignement supérieur. Les récits qu’elles font des transformations récentes dans leurs établissements montrent à quel point, et comment l’autonomisation des universités tend à fortement précariser les facultés de sociologie. Quant à Isabelle Bourgeois et Sophie Dalle-Nazébi, elles soulignent de leur côté les difficultés rencontrées par les sociologues qui exercent leur métier en dehors de l’université, dans les entreprises[voir la vidéo].
13h15
Après un repas rapide, je file à l’atelier « Outils innovants pour la diffusion de la recherche en sciences sociales » : Pierre Mounier et Karim Hammou présentent OpenEdition.org, la plateforme d’édition électronique en libre accès qui regroupe Revues.Org, Calenda, Hypotheses, et maintenant aussi des collections de livres électroniques. Pierre est très gentil : il a mis la revue Sociologie et la revue Lectures côte à côte sur une des diapositives du powerpoint, ce qui me permet de dire un mot des annexes électroniques de la revue Sociologie. Merci ! Quant à Lectures, j’en parlerai au même endroit et à la même heure, venez nombreux-ses… Après une présentation de l’ensemble des composantes, Pierre et Karim montrent de façon détaillée comment fonctionnent Calenda, le calendrier scientifique des sciences sociales, et Hypotheses, la plateforme de carnets de recherches. Karim présente Quanti, mon carnet sur Hypotheses, je suis gâté aujourd’hui !
14h30
De retour au RT20 « Méthodes », pour une session consacrée aux enquêtes longitudinales. On entre immédiatement dans le vif du sujet avec la présentation par Bertrand Geay et Marion Selz (pdf ici) de la fameuse enquête ELFE : un panel de 20.000 enfants nés cette année vont être suivis jusqu’à leurs vingt ans ! Un chantier colossal, où s’articulent sciences sociales et sciences médicales, l’ensemble étant piloté par l’INSERM et l’INED. Et les données seront accessibles à la communauté scientifique… Voici le schéma général de l’enquête :
15h
Dans la très bonne communication suivante (pdf ici), Mathieu Ichou, doctorant à l’OSC, montre que certaines des difficultés méthodologiques posées par l’étude des scolarités d’enfants d’immigrés à l’aide de modèles de régression, peuvent être résolues en recourant à des techniques de matching (appariement). Ces techniques consistent pour chaque enfant d’immigré d’un échantillon, à rechercher l’enfant du groupe majoritaire (non issu de l’immigration) qui présente exactement les mêmes autres caractéristiques socio-démographique (sauf l’origine, donc), puis à comparer leurs résultats scolaires. La méthode a l’avantage d’être très simple et donc transparente, elle permet d’éviter la modélisation (le matching est une technique non-paramétrique), tout en rendant possible une approche multivariée de petits groupes.
15h30
C’est au tour de Nicolas Robette, qui présente une utilisation des techniques d’appariement optimal (optimal matching analysis) introduites dans les sciences sociales par Andrew Abbott, pour analyser des trajectoires d’activité féminine (pdf ici). L’étude a été réalisée avec Eva Lelièvre, une démographe de l’INED qui est une grande spécialiste de cette technique. La nouveauté ici, c’est qu’elle est mobilisée ici pour comparer les trajectoires d’activité des femmes et de leur mère. Et en plus, graphiquement, c’est très coloré, et avec la chaleur qu’il fait, je ne sais pas pourquoi, ça me donne envie d’une grosse glace fraise-framboise-cassis :
16h
C’est très mal, mais j’avoue avoir complètement décroché pendant la présentation par Danièle Trancart, consacrée à l’impact de la crise sur les trajectoires professionnelles des jeunes. Ce n’est pas de sa faute du tout, ça a l’air passionnant, mais la chaleur de plus en plus forte me plonge dans une sorte d’état comateux assez propice à une écoute attentive. Vous pouvez vous consoler en consultant le PDF du diaporama de Danièle Trancart ici.
16h30
Je me réveille pour la dernière communication de la session, celle de Géraldine Vivier, intitulée « Mais pourquoi diable répondre à une enquête ? Vécus et motivations de participants à un suivi de cohorte » (pdf ici). Pour avoir travaillé depuis six ans sur l’enquête longitudinale sur les pratiques culturelles des enfants et des adolescents, la question m’intéresse beaucoup ! Ici, ce sont des agents EDF, enquêtés dans le cadre de la cohorte Gazel, une cohorte épidémiologique de l’INSERM, qui ont été interrogés par entretiens, pour leur faire raconter leur expérience d’enquêté. Résultat ? La participation à une telle enquête, même de longue haleine, est vécue par la majorité comme de l’ordre de l’évidence, conforme probablement à la morale de service public qui anime justement ces agents EDF. Cette évidence est d’autant plus forte que l’enquête est décrite comme simple, facile, et correspond donc à un investissement personnel limité, même sans bénéfice personnel ou collectif clairement visible.
C’est tout pour moi pour aujourd’hui, il fait trop chaud ! A demain…
Les directs des autres jours du congrès :
mardi 5 juillet | mercredi 6 juillet | jeudi 7 juillet | vendredi 8 juillet
Références bibliographiques
Beaud Olivier, Caillé Alain, Encrenaz Pierre, Gauchet Marcel et Vatin François (2010), Refonder l’université. Pourquoi l’enseignement supérieur reste à reconstruire, Paris, La Découverte
Dujarier Marie-Anne (2010), « L’automatisation du jugement sur le travail. Mesurer n’est pas évaluer », Cahiers internationaux de sociologie, n° 128-129, pp. 135-159.
Oblin Nicolas et Vassort Patrick (2005), La crise de l’univesité française. Traité contre une politique de l’anéantissement, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales »
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