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Dans la peau d’un chercheur au CNRS

par Pierre Mercklé le 4 janvier 2011 · aucun commentaire

dans Recherche

Ce petit billet-là, pour inaugurer l’année 2011, j’aurais pu aussi l’intituler « Tête de chercheur », pour paraphraser le titre de l’ouvrage de Günther Walraff, Tête de Turc. On l’a probablement un peu oublié maintenant, mais au moment de sa sortie, le récit par le journaliste allemand de sa plongée dans l’univers des travailleurs immigrés avait fait beaucoup de bruit.

De mon modeste côté, rien d’aussi héroïque : je bénéficie cette année d’une délégation au CNRS, ce qui signifie que je suis déchargé des charges d’enseignement et d’administration qui composent le service des enseignants-chercheurs, pour pouvoir me consacrer exclusivement à la recherche. Je passe donc cette année universitaire dans la peau d’un chercheur au CNRS, et c’est au fond ce qui a motivé la création de ce blog : l’envie d’essayer, aussi, de faire le récit ethnographique de cette expérience pour moi inédite, de tenir en quelque sorte – mais en public – le « journal de terrain » de ma mission dans cet univers exotique (pour moi) que constitue la grande institution de recherche française.

A quoi m’attendais-je ? Le cliché répandu dépeint le chercheur au CNRS, au mieux comme un individu un peu farfelu qui cherche mais ne trouve pas grand-chose dans des domaines qui n’intéressent personne, et au pire comme un parasite qui ne fait en réalité pas grand-chose et détourne l’argent public pour vivre la belle vie aux frais du contribuable. Et je ne peux pas nier que ce cliché est même en partie entretenu au sein même de la communauté scientifique, par celles et ceux qu’épuisent leurs charges d’enseignement et d’administration. Avec mes ami-e-s les moins susceptibles qui avaient la chance d’avoir rejoint le CNRS, j’ai moi-même déjà cédé à la tentation de gentilles moqueries, parfois marquées d’un peu de jalousie et souvent de beaucoup de mauvaise foi : à observer les plus proches d’entre eux, comme Dominique ou Claire, je sais très bien la somme invraisemblable de travail à laquelle ils s’astreignent en réalité.

Il n’empêche : à nous « pauvres » enseignants-chercheurs, et quel que soit la passion que nous vouons à l’enseignement, leur sort nous paraît toujours enviable, en particulier quand nous nous rendons compte qu’il nous faut attendre, au mieux, le mois de mai pour arriver à nous consacrer enfin à nos travaux de recherche…

Cela fait donc trois mois que je suis sociologue au CNRS, et la plus grande surprise c’est qu’il n’y en a pas vraiment : j’espérais quand même, sans trop l’avouer, en profiter pour me conformer un peu au cliché que je viens d’évoquer, et entamer mon terrain en ralentissant un peu mon rythme de travail. Raté ! Deux fois raté ! C’est qu’en fait le travail possède son inertie propre, assez peu sensible au calendrier universitaire officiel, et au lieu de commencer le travail correspondant au projet de recherche pour lequel j’avais obtenu cette délégation, j’ai en fait consacré ces trois premiers mois à d’abord terminer d’autres chantiers plus anciens, et à rattraper les retards accumulés. L’effort n’a pas été vain : L’enfance des loisirs, co-écrit avec Sylvie Octobre, Christine Détrez et Nathalie Berthomier, est paru il y a quelques jours (La documentation française, coll. « Questions de culture ») ; la nouvelle édition, largement réécrite, de la Sociologie des réseaux sociaux paraîtra le mois prochain (La Découverte, coll. « Repères ») ; et l’article sur « la diversification des formes de la transmission culturelle » paraîtra dans le prochain numéro de Recherches familiales.

Mais au total, je n’ai ni vraiment eu l’impression de changer de métier, ni de travailler moins frénétiquement : ce n’est finalement pas très exotique, être chercheur au CNRS !

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