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L’imposture, c’est Maffesoli

par Pierre Mercklé le 12 mars 2015 · 9 commentaires

dans Divers,Sociologie

Allez, je me fends à mon tour d’un petit mot au sujet du canular dont ont été « victimes » la revue Sociétés et le pseudo-sociologue Michel Maffesoli. Deux sociologues (des vrais, ceux-là), Manuel Quinon et Arnaud Saint-Martin viennent de révéler dans un article du carnet de recherches Zilsel comment ils avaient réussi, sous le nom de Jean-Pierre Tremblay, un collègue québécois imaginaire, à publier dans la revue Sociétés, dirigée par Michel Maffesoli, un article de sociologie entièrement bidonné, dont la lecture peut convaincre absolument n’importe qui qu’on y raconte absolument n’importe quoi. L’article, intitulé « Automobilités postmodernes : quand l’Autolib’ fait sensation à Paris », se propose de démontrer que la diffusion de la voiture de location entraîne un basculement de toute la société dans l’ère « post-moderne », thématique chère à Michel Maffesoli. Sauf qu’il n’y a pas de terrain, pas de données, pas d’analyse, seulement des formulations délirantes et incompréhensibles et une bibliographie citant ad nauseam Maffesoli, ses maîtres à « penser » et ses élèves. Un seul exemple ? Du seule fait que la voitures est grise, les auteurs déduisent qu’« à l’ontologie de la propriété individuelle, l’Autolib’ substitue ainsi l’ontogenèse de l’appropriation collective ». Tout le reste est du même tonneau.

On parle beaucoup de ce canular, et c’est tant mieux : un billet de Baptiste Coulmont dans Le Monde, qu’il signale également sur son blog ; un billet de Sylvestre Huet dans Libération ; un autre article du Monde… Malheureusement, l’article (qui reste accessible ici) a été retiré du site de la revue sur le portail Cairn, où il figurait auparavant à cette adresse : http://www.cairn.info/revue-societes-2014-4-page-115.htm.  C4est dommage, parce qu’il n’y déparait pas temps que ça : j’avoue avoir déjà ri au moins autant à la lecture de quelques autres « vrais » articles de cette revue. A la place donc du « faux article », un mot de Michel Maffesoli dans lequel il reconnaît une « erreur », présente ses excuses à ses lecteurs et demande que cette « affaire » reste dans les limites de la droite raison et du bon sens réunis ». Je suis d’accord : la droite raison et le bon sens plaident en l’espèce pour un inventaire déterminé des impostures du « maffesolisme », duquel les instances qui gouvernent l’enseignement supérieur et la recherche devraient tirer toutes les conséquences. S’il a fallu un « canular » pour rendre plus visible la dénonciation de cette imposture, c’est parce que l’homme est mondain, et qu’il a su faire son trou dans les couloirs du pouvoir. Cette dénonciation patiente, c’est pourtant un combat ancien de notre profession, au moins depuis une quinzaine d’années et la fameuse « affaire Teissier » (l’astrologue Elisabeth Teissier avait pu soutenir grâce à son directeur Michel Maffesoli une thèse de sociologie qui avait pourtant tout aussi d’un immense canular). Mais on l’a laissé continuer impunément son travail de décrédibilisation des sciences sociales. Il y a quelques lieux où l’on s’est montré jusque-là particulièrement complaisant avec le maffesolisme : à l’Université Paris Descartes où on le laisse enseigner, aux éditions du CNRS où on le laisse publier, à CAIRN où l’on accepte de gagner de l’argent en vendant cette prose invraisemblable, à Montpellier où la sociologie est ridiculisée par quelques disciples… Espérons que cette fois, la coupe va sembler tout de même bien pleine.

Un dernier mot plus personnel à propos d’une remarque faite par les auteurs du canular dans l’article où ils le révèlent. Arnaud Saint-Martin y fait allusion, dans les termes suivants, au refus de Lectures (la revue que je dirige) de publier sa recension très critique d’un livre d’un disciple de Michel Maffesoli :

« Rédigé en juin 2013 pour un site en ligne consacré aux publications dans le domaine des sciences humaines et sociales, le compte rendu a finalement échoué sur un carnet de recherche, au motif qu’il n’est pas bon de faire de la publicité au maffesolisme (« do not feed the troll », nous a fait comprendre le responsable de la rédaction) ».

Comme le responsable de la rédaction en question, c’est moi, et que Manuel Quinon et Arnaud Saint-Martin considèrent que cette forme d’auto-censure nourrit l’impunité dont jouit Maffesoli et justifie le recours au canular, je voudrais seulement reproduire ici un extrait plus long du courrier que j’avais envoyé à Arnaud Saint-Martin pour expliquer cette décision non pas personnelle mais prise collectivement par le comité de rédaction de Lectures :

«