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Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les réseaux sociaux (et vous avez osé le demander)

par Pierre Mercklé le 31 janvier 2013 · 5 commentaires

dans Réseaux

Si vous lisez ces lignes, c’est peut-être parce que vous venez de m’envoyer un courrier électronique pour me demander de l’aide pour un devoir ou un mémoire, ou me solliciter pour une interview, et que je vous ai répondu en vous invitant à lire d’abord ce qui suit… En effet, depuis la réédition du livre sur la Sociologie des réseaux sociaux au début de l’année 2011, je reçois pratiquement chaque jour un ou plusieurs courriers électroniques de lycéens, d’étudiants ou de  journalistes, formulés tous à peu près de la même façon : dans un premier temps vous me dites que vos recherches vous laissent penser que je suis un grand spécialiste des réseaux sociaux ; dans un second temps, vous me demandez si, à ce titre, j’accepterais de répondre (en général le plus vite possible) à différentes questions, que vous m’exposez dans la suite de votre courrier ; et dans un dernier  temps, si j’indique que je ne peux pas répondre à ces questions, vous me demandez de vous indiquer les noms de collègues qui pourraient le faire à ma place.

Pourquoi une foire aux questions sur les réseaux sociaux ?

Aujourd’hui, je réalise qu’il me devient pratiquement impossible de répondre individuellement à toutes ces demandes. D’une part parce qu’elles sont devenues trop nombreuses (environ une dizaine par semaine) et qu’il me faudrait cesser mes enseignements et mes recherches pour trouver le temps de le faire. Et d’autre part parce que ce serait de toute façon absurde, c’est justement pour cela que les enseignants ont succédé aux précepteurs et qu’on a inventé l’imprimerie : pour que ce qui peut être dit, enseigné ou écrit à un seul puisse l’être plutôt au plus grand nombre.

Ma première réponse à vos demandes, je l’emprunte d’une certaine façon au billet « For Students » que le grand sociologue américain Howard Becker a ajouté il y a très longtemps à son site personnel : à toutes celles et tous ceux qui lui écrivent pour lui demander de leur expliquer sa « théorie », il demande de lire d’abord son fameux livre, Outsiders. Je n’ai pas de théorie, mon livre n’est pas fameux, mais je vous fais la même invitation : lisez d’abord Sociologie des réseaux sociaux, ce n’est ni très long ni très cher… Et vous y trouverez peut-être quelques élements de réponse à vos questions, qui sait ?

Vous trouverez ici une présentation synthétique de ce livre :

http://pierremerckle.fr/2011/02/sociologie-des-reseaux-sociaux/

Et bien sûr, vous pouvez très facilement le commander en ligne, par exemple ici :

http://www.decitre.fr/livres/sociologie-des-reseaux-sociaux-9782707167101.html

Si malgré tout il vous reste des interrogations, je vous propose dans la suite de ce billet de passer d’abord en revue avec moi les différentes questions qui me sont habituellement posées : je vais essayer d’y répondre à celles qui me semblent bien posées, et dont bien sûr je connais la réponse (elles ne sont pas si nombreuses) ; pour les (beaucoup plus nombreuses) questions bien posées mais dont je n’ai pas la réponse, je vais essayer de donner des pistes permettant d’en chercher les réponses ailleurs ; et quant aux questions qui me semblent mal posées, j’en donnerai également quelques exemples, pour donner des indications sur de meilleures façons de les poser.

Ce billet, qui prend donc la forme classique d’une « foire aux questions », je le compléterai au fur et à mesure des sollicitations, en y ajoutant autant que possible celles des questions inédites qui me seront posées à partir de maintenant, et en essayant de mettre un peu d’ordre dans tout ça. Au total, j’espère que cela pourra constituer progressivement un guide utile pour toutes celles et tous ceux qui se posent des questions sur les réseaux sociaux !

Les questions qui se posent

Celles dont j’ai la réponse

En réalité, les questions sociologiquement pertinentes dont j’ai la réponse sont peu nombreuses, et portent essentiellement sur les pratiques culturelles des adolescents en général, et leurs pratiques numériques en particulier.

Comment les pratiques culturelles et les loisirs se transforment-ils au cours de l’adolescence ?

C’est une des grandes questions auxquelles nous avons cherché à répondre en réalisant l’enquête sur les « univers culturels des adolescents », en partenariat avec le Ministère de la Culture : pendant six ans, entre 2002 et 2008, nous avons suivi un panel représentatif de 3900 adolescents, interrogés tous les deux ans sur leurs pratiques et leurs goûts en matière de musique, lecture, télévision, jeux vidéo, activités sportives, activités artistiques, usages numériques…

Il en ressort que chez les adolescents, l’avancée en âge se caractérise par une réorganisation des agendas culturels qui prend une double forme : elle touche les répertoires de loisirs, mais également les rythmes et les temporalités des pratiques. Tout d’abord, du côté des répertoires de loisirs, on assiste à d’importantes transformations : à 17 ans, lors de la dernière vague de l’enquête, les adolescents sont moins nombreux à regarder la télévision tous les jours (66%) qu’au début de l’enquête, leur vie culturelle s’est musicalisée (68,5% écoutent de la musique tous les jours) tandis que la lecture quotidienne de livres (9%) est devenue très minoritaire. C’est, sans aucune contestation possible, l’ordinateur qui est devenu leur première activité quotidienne : 69% des adolescents l’utilisent tous les jours, aussi bien pour des consommations culturelles (musique, films, séries…) que des usages communicationnels (blog, chat…) ou des pratiques créatives, ainsi que pour des activités liées au travail. Ayant gagné en autonomie, à la fois dans leurs possibilités de déplacement et dans la définition de leurs préférences, ces grands enfants devenus de grands adolescents  sortent également plus : lors de la dernière vague de l’enquête, 90% sont allés au cinéma depuis le début de l’année scolaire (ce qui en fait leur sortie la plus fréquente) ; et si plus d’un tiers d’entre eux sont allés à un concert, ils se détournent en revanche des musées et des monuments (44%) et surtout  des bibliothèques (21%), dont la fréquentation était liée à la famille ou à l’école. Et il faut ajouter que ces transformations des répertoires s’accompagnent d’une transformation, d’une dispersion et d’une diversification des goûts et des préférences (en particulier en matière de musique et de livres). Ensuite, du côté des rythmes et des temporalités, cette réorganisation prend appui sur les mutations des cadres temporels des enfants, passant d’emplois du temps stables à l’école primaire à une flexibilité plus grande au collège et au lycée, et sur l’augmentation tendancielle à la fois du temps passé sans la présence d’un adulte, mais aussi des pressions, notamment scolaires, qui s’exercent sur eux.

Si vous souhaitez en savoir plus, les résultats détaillés de cette longue enquête sont présentés dans ce livre :

Octobre Sylvie, Détrez Christine, Mercklé Pierre, Berthomier Nathalie, L’Enfance des loisirs. Trajectoires communes et parcours individuels de la fin de l’enfance à la grande adolescence, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, La Documentation française, coll. « Questions de culture », 2010, 432 pages, 13,5×21 cm , ISBN : 978-2-11-097545-4

Vous pouvez trouver ici une présentation synthétique du livre :

http://pierremerckle.fr/2011/01/lenfance-des-loisirs

Et bien sûr, vous pouvez très facilement le commander en ligne, par exemple ici :

http://www.decitre.fr/livres/L-enfance-des-loisirs.aspx/9782110975454

Tous les adolescents sont-ils égaux face à l’ordinateur et aux nouvelles technologies numériques ?

La révolution numérique ne semble pas avoir changé les liens étroits entre position sociale d’une part, et dotation en équipements, détentions de compétences, intensités d’investissement dans les loisirs culturels, types d’usages et de préférences d’autre part. Malgré l’apparente généralisation des technologies numériques, d’importantes inégalités subsistent en matière aussi bien d’équipement des foyers en ordinateurs, que d’accès et d’usages de l’Internet. Pour la génération que nous avons étudiée dans l’enquête sur les « univers culturels des adolescents » 2002- 2008, qui a traversé l’adolescence entre la généralisation du téléphone portable et celle des réseaux sociaux en ligne, on ne peut guère parler d’un rapport unifié et homogène à la culture numérique, tant des clivages sociaux importants continuent de traverser leurs usages de ces nouveaux outils de communication.

Bien sûr, l’utilisation de l’ordinateur, désormais massive, s’est clairement installée au centre d’un espace des styles de vie des adolescents. Cette « massification » de l’utilisation de l’ordinateur n’est pas pour autant synonyme de « démocratisation », elle s’accompagne en réalité d’un déplacement de la fracture numérique : avec l’avancée en âge, les adolescents des années 2000 se différencient de moins en moins par la possession et la fréquence d’utilisation d’un ordinateur ; en revanche, ils continuent de se différencier de façon significative par leurs usages de celui-ci, et en particulier par une plus grande familiarité des adolescents des milieux favorisés avec les usages connectés. Cette génération reste donc clairement partagée entre d’une part une minorité de garçons et de filles qu’on peut effectivement considérer comme des « digital natives », autrement dit des adolescents effectivement familiarisés très tôt à l’utilisation de l’ordinateur (avant le primaire pour un nombre relativement important d’entre eux) et habitués à la fin de l’adolescence à des usages extrêmement diversifiés de l’outil informatique, et en particulier de l’Internet, les filles en ayant cependant des usages plus scolaires, communicationnels et créatifs, et les garçons des usages plus récréatifs et techniques ; et d’autre part une majorité d’adolescents dont la familiarisation avec l’ordinateur est plus tardive, puisqu’elle date plutôt du collège, voire du début du lycée, et dont l’utilisation des nouveaux outils de communication reste encore, à l’entrée dans l’âge adulte, moins régulière et moins diversifiée. Si enfin on ajoute que les adolescents de milieux favorisés sont enclins à adopter plus rapidement que les autres les usages numériques émergents, il faut probablement admettre que le déplacement continu des frontières du territoire de la « littératie numérique » va condamner une partie importante des prochaines cohortes d’adolescents de milieux populaires à rester des « digital immigrants ».

Si vous souhaitez en savoir plus, ma collègue Sylvie Octobre et moi nous examinons cette question de façon détaillée dans :

Mercklé Pierre, Octobre Sylvie, « La stratification sociale des pratiques numériques des adolescents », RESET. Recherches en sciences sociales sur Internet, n° 1, 2012.

Cet article est accessible en ligne gratuitement et en texte intégral ici :

http://www.journal-reset.org/index.php/RESET/article/view/3

Celles dont je n’ai pas la réponse

En réalité, ce n’est pas tout à fait vrai : pour de nombreuses questions ci-dessous, je connais la réponse… Mais si je la connais, c’est en réalité parce que j’ai lu les travaux des collègues qui réfléchissent à ces questions. Le mieux donc que je puisse faire, pour ces questions dont je n’ai pas (construit par l’enquête ou ma propre réfléxion) la réponse, c’est vous indiquer des pistes pour faire à votre tour les bonnes lectures !

Quels sont les effets des nouvelles technologies de l’information et de la communication, et en particulier des réseaux sociaux en ligne, sur les sociétés et le lien social ?

La question est évidemment trop vaste pour qu’un seul chercheur, à l’aide d’une seule étude, parvienne à y répondre. Je ne suis même pas sûr qu’il soit possible d’imaginer un protocole d’enquête permettant d’y répondre empiriquement. Il faut en réalité plutôt s’appuyer sur la synthèse de nombreux travaux pour émettre quelques hypothèses en la matière.

La meilleure lecture pour commencer d’aborder ces questions me semble être ce petit livre :

Jauréguiberry Francis et Proulx Serge, 2011, Usages et enjeux des technologies de communication, Toulouse, Erès, coll. « Poche », 143 p.

Et pour ma part, sur cette question des relations entre changements techniques et changements sociaux, j’apprécie beaucoup l’avis très mesuré et solidement étayé du sociologue Barry Wellman, qui s’intéresse beaucoup aux réseaux sociaux en ligne depuis une décennie : selon lui, Internet, qui en cela est bien une « technologie », ne détermine pas les comportements sociaux, mais fournit aux relations sociales des possibilités de réalisation sous contraintes. Certes, la diffusion des nouvelles technologies de communication semble s’accompagner d’un certain nombre de transformations (affaiblissement des liens, transformation de la notion de groupe, horizontalisation et informalisation des relations…), mais, en réalité, ces transformations ont précédé Internet, se produisant dès les années 1960, et l’ont peut-être même suscité, plus qu’elles n’en sont les conséquences. C’est que, en réalité, les innovations techniques ne précèdent pas les usages, mais sont au contraire produites par eux, pour ensuite les incorporer et les outiller : l’autonomie et le fonctionnement en réseau ne sont pas des inventions d’Internet, ce serait plutôt Internet qui serait le produit de l’autonomie et du fonctionnement en réseau.

Sur ces questions, vous pouvez lire ces trois articles de Barry Wellman :

Wellman Barry et Giulia Milena, 1999, « Netsurfers Don’t Ride Alone : Virtual Communities as Communities », in Wellman Barry (dir.), Networks in the Global Village, Boulder (CO), Westview, pp. 331-366 [PDF]

Wellman Barry et Hogan Bernie, 2006, « The Immanent Internet », in McKay Johnston (dir.), Netting Citizens: Exploring Citizenship in a Digital Age, Edinburgh, St. Andrew Press, pp. 54-80 [PDF]. Il y en a une version en français, mais elle n’est pas disponible en ligne : Wellman Barry et Hogan Bernie, 2006, « L’Internet, une présence immanente », in Proulx Serge, Poissant Louise et Sénécal Michel (dir.), Communautés virtuelles. Penser et agir en réseau, Presses universitaires de Laval.

Wellman Barry et Hogan Bernie, 2012, « The Immanent Internet Redux », in Hope Cheong Pauline, Fischer-Nielsen Peter, Gelfgren Stefan et Ess Charles (dir.), Digital Religion, Social Media and Culture: Perspectives, Practices and Futures, Berne, Peter Lang, pp. 43-62 [PDF]. C’est une mise à jour du precedent, tant il a semblé aux auteurs que ce qu’ils essayaient d’y montrer n’avait pas été entendu, et qu’au contraire la croyance selon laquelle “Internet change tout” avait largement continue de se répandre.

En dehors des travaux de Barry Wellman, voici deux articles et un livre très intéressants, si vous voulez poursuivre vos lectures sur les relations entre changements technologiques, changements sociaux et transformations des représentations :

Flichy Patrice, 2001, « La place de l’imaginaire dans l’action technique », Réseaux, n° 109, p. 52-73 [PDF].

Flichy Patrice, 2004, « L’individualisme connecté entre la technique numérique et la société », Réseaux, n° 124, p. 17-51 [PDF].

Oudshoorn Nelly et Pinch Trevor, 2004, How Users Matter: The Co-Construction of Users and Technology, Cambridge (MA), MIT Press.

Les réseaux socio-numériques ont-ils apporté une image différente de la politique auprès des internautes pendant la dernière campagne présidentielle française ?

Est-ce que ces réseaux socio-numériques ont un impact déterminant sur le choix des électeurs ?

Une élection peut-elle se jouer sur les réseaux sociaux ? [question reçue le 8 février 2013]

Les réseaux socio-numériques donnent-t-ils un accès plus simple et ouvert aux débats politique ?

Pensez-vous également que les réseaux sociaux libèrent la parole politique, permettent aux politiques de se rapprocher des citoyens, de pouvoir dialoguer sans barrière avec leurs électeurs potentiels ? [question reçue le 8 février 2013]

Si ces questions sur les relations entre réseaux socio-numériques et politiques sont pertinentes et passionnantes, malheureusement je n’en ai pas les réponses.  Tout ce que je sais sur ce sujet ou presque, je l’ai appris à la lecture de ce formidable livre :

Cardon Dominique, 2010,  La Démocratie Internet. Promesses et limites, Paris, Seuil, coll. « La République des idées » [compte rendu dans Lectures].

Si vous cherchez des réponses à ce genre de questions, c’est le livre à lire, et le sociologue à interroger s’il vous faut absolument la certification d’une parole légitime. A défaut, vous pouveez le voir et l’écouter en parler dans cette vidéo.

Les réseaux socio-numériques ont-ils bouleversé les modes traditionnels de construction des identités ?

Là encore, très importante question, mais sur laquelle je ne suis pas très compétent. Et là encore, Dominique Cardon l’est beaucoup plus que moi. Lisez par exemple cet article, qui dresse un très bon panorama du problème :

Cardon Dominique, 2008, « Le design de la visibilité. Un essai de cartographie du web 2.0 », Réseaux, n° 152, pp. 93-137 [PDF].

Les « questions du jour »

Ce que j’appelle les « questions du jour », ce sont évidemment plutôt des questions de journalistes. Modification des conditions d’utilisation de Facebook, messages racistes sur Twitter, vidéo virale sur YouTube… Il ne se passe effectivement pas un jour sans que l’on parle des réseaux socio-numériques dans l’actualité. Ces questions-là, il faudrait y répondre dans la seconde, car le lendemain elles seront déjà oubliées. C’est sur ces questions, pourtant parfois pertinentes, que l’écart entre les contraintes médiatiques et les contraintes scientifiques se fait le plus grand, jusqu’à rendre souvent ces contraintes inconciliables : d’un côté, les journalistes veulent un commentaire immédiat, et de l’autre, du moins quand la question est sociologiquement pertinente, la nouveauté du problème exigerait une longue analyse préalable, voire une enquête , avant que les sociologues puissent en fournir une analyse empiriquement étayée.

Savons-nous a priori qui sont les utilisateurs (tranche d’âge etc.) qui écrivent des tweets racistes/antisémites/homophobes?

Non, c’est très difficile à déterminer, puisque justement la plupart de ces modes d’expression en ligne se font à l’abri de l’anonymat. Mais a priori, c’est-à-dire justement avant de pouvoir le mesurer précisément, ou même dans l’impossibilité de le mesurer précisément, si on fait l’hypothèse que les médias socio-numériques sont des outils de communication en partie comme les autres, alors on retrouvera sûrement chez les internautes racistes ou homophobes des caractéristiques socio-démographiques proches de celles des racistes ou homophobes « hors ligne ». S’agissant de ces dernières, les sources les plus objectives sont probablement les grandes enquêtes internationale sur les valeurs (european values survey, world values survey). Si vous suivez les indications (en anglais) données sur le site suivant, vous pourrez trouver vous-mêmes les caractéristiques des personnes racistes ou homophobes :

http://www.wvsevsdb.com/wvs/WVSAnalizeStudy.jsp

Une question permet en effet d’isoler les personnes racistes ou homophobes : il s’agit de celles portant sur les gens que les personnes interrogées ne voudraient pas avoir comme voisins (V43MD : “On this list are various groups of people. Could you please sort out any that you would not like to have as neighbors?”). Pour la France (mais vous pouvez choisir le pays que vous voulez), le croisement entre ces comportements de rejet et l’âge ou le sexe donne ceci :

Would not like to have as neighbors… People of a different race Homosexuals
Total 26.8 % 34.1 %
15-29 years 17.3 % 19.4 %
30-49 years 21.0 % 25.5 %
50 and more years 35.1 % 46.8 %
Male 25.9 % 39.4 %
Female 27.5 % 29.3 %

Source : World Values Survey, 2006

Autrement dit, les personnes âgées de 50 ans et plus sont plus racistes et homophobes que les autres, et les hommes sont plus homophobes que les femme. Je vous laisse explorer par vous-mêmes ce remarquable outil si vous voulez voir les effets du niveau d’éducation, du statut d’emploi, du statut matrimonial, du milieu social ou de la religion d’appartenance sur le racisme et l’homophobie…

Les questions personnelles

Il y a plus étonnant : il arrive de temps en temps que les uns ou les autres, journalistes ou étudiants, me posent des questions plus personnelles, portant par exemple sur mes usages des réseaux socio-numériques, ou mon avis personnel sur telle ou telle nouveauté ; parfois même, on me demande de raconter ma vie…

Qu’est ce qui vous a poussé à écrire ce livre sur la Sociologie des réseaux sociaux ?

Si vous voulez tout savoir, rien ne m’y a poussé, en dehors de l’obligation d’enseigner la question : elle a été inscrite au programme de l’agrégation de sciences économiques et sociales en juillet 2003, et nouvellement recruté à l’ENS de Lyon, j’ai eu quelques semaines pour préparer un cours entier sur le sujet pour la rentrée de septembre… L’été fut studieux, mais la question suffisamment passionnante pour me donner envie de faire ce livre, dont la première édition est parue en 2004.

Êtes-vous sur des réseaux sociaux, et à quelles fins les utilisez-vous ?

Je n’en suis qu’un utilisateur intermittent et tardif. Il y a un an et demi, quelqu’un m’avait invité à animer un débat autour du film The Social Network, de David Fincher, et m’avait fait remarquer qu’il était curieux pour un sociologue de ne pas aller sur le « terrain ». Piqué au vif, je me suis inscrit le lendemain sur Facebook, puis ensuite sur Twitter. J’en ai un usage principalement professionnel, de l’ordre de la veille scientifique : j’y diffuse des informations sur mon travail, et je m’en sers également pour suivre le travail de mes collègues. J’utilise Delicious et LibraryThing depuis plus récemment, également de façon principalement professionnelle. Seul usage strictement récréatif : Instagram, où je partage quelques photos…

Tous ces outils viennent compléter mon blog :

http://pierremerckle.fr

Si vous voulez explorer tout cela, voici mes comptes :

http://www.facebook.com/pierre.merckle

https://twitter.com/pierremerckle

https://delicious.com/pierrot1206

http://www.librarything.com/catalog/pierre.merckle

http://web.stagram.com/search/pyrosxl/

Les questions qui ne se posent pas

Ce sont probablement les plus nombreuses malheureusement : toutes ne sont pas complètement absurdes, mais en revanche beaucoup d’entre elles sont d’abord et avant tout marquées par des préjugés moraux, des jugements de valeurs, des stéréotypes, qui font que bien souvent la réponse est déjà presque entièrement contenue dans la question. En voici quelques exemples :

Quels sont les effets négatifs de Facebook ?

En quoi Facebook peut-il être nuisible… (en vrac, à la cohésion sociale, au vivre ensemble, à la démocratie, au moral ou à la santé mentale de ses utilisateurs, etc.) ?

Quelles sont les raisons sociologiques qui poussent les utilisateurs des réseaux sociaux (plus particulièrement Facebook) à exposer leurs états d’âme ?

En quoi pensez vous que les réseaux sociaux sont dangereux pour notre vie privée ?

En quoi les jeunes sont t-ils plus vulnérables à l’appel des réseaux sociaux que les adultes ?

Le registre principal dans lequel s’expriment ces préjugés, c’est celui d’une « panique morale » face à la diffusion des réseaux sociaux en ligne, et évidemment en particulier de Facebook. Quand je suis confronté à ce genre de clichés, j’ai toujours tendance (parfois même avec un peu de mauvaise foi) à tordre le bâton dans l’autre sens, et à insister au contraire sur les effets individuels et collectifs bénéfiques des réseaux socio-numériques. Mais il y a quelqu’un qui fait cela beaucoup mieux que moi, il s’agit d’Antonio Casilli, aussi je vous recommande chaudement la lecture de son livre :

Casilli Antonio, 2010, Les liaisons numériques : vers une nouvelle sociabilité, Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées »

Vous trouverez une présentation du livre ici : http://www.liaisonsnumeriques.fr/?page_id=98

Alors si par hasard vous vous posez une des questions suivantes, plutôt que vous adresser à moi, n’hésitez pas à lire le livre d’Antonio Casilli !…

Comment expliquer ce nouveau phénomène créé par les réseaux sociaux qui consiste à insulter les autres ?

Un petit mot de commentaire sur cette question-là, pour clore (provisoirement) cette « foire aux questions » : les questions qui ne se posent pas présupposent très souvent que le phénomène sur lequel elles portent est entièrement nouveau, et qu’il a été engendré par Internet et les réseaux socio-numériques. Comme si les gens avaient attendu Internet pour s’insulter ou – cette question a d’innombrables variantes – chercher à se rencontrer, à coucher les uns avec les autres, raconter ce qu’ils vu au cinéma ou mangé au restaurant la veille, etc., etc. A toutes celles et tous ceux qui se posent des questions de ce jour, je voudrais pour finir suggérer de faire toujours l’hypothèse inverse, pour voir : il peut être parfois très intéressant de se demander quelles formes prenaient ces comportements AVANT Internet, c’est une source plus sûr de découvertes passionnantes que la question inverse. Un très bon exemple, les travaux de Dan Edelstein sur la correspondance au XVIIIe siècle, évoqués dans cet article, dont je vous conseille la lecture :

http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2011/11/07/2631996_vous-croulez-sous-l-information-mais-c-etait-deja-le-cas-du-temps-de-voltaire.html

Et si vous ne me croyez toujours pas, peut-être arriverai-je mieux à vous convaincre à vous demandant de réfléchir un instant à tout ce que vous partagez depuis très longtemps avec différents cercles de personnes, depuis les membres de votre ménage jusqu’aux inconnus de passage (réparateurs, démarcheurs…), en passant par vos amis plus ou moins proches, tout simplement en l’affichant…. dans vos toilettes, sur votre réfrigérateur ou même dans votre jardin ! Regardez cette photo prise chez un ami, est-ce qu’on ne dirait pas un « mur » sur Facebook ?

Et bien sûr, le plus souvent les deux penchants évoqués ci-dessus (la panique morale, et l’illusion de la nouveauté) se combinent! cela donne les nombreuses questions « d’actualité » qui visent à dénoncer, ou au moins à s’inquiéter, des dangers et des risques potentiels que présentent (en général pour la jeunesse) les nouveaux outils ou les nouveaux usages numériques. Voici quelques exemples :

De nombreux hommes politiques ont aujourd’hui un compte Twitter et/ou Facebook. Est-ce que cette nouvelle façon de faire de la politique ne désacralise pas le message politique et l’homme politique traditionnel ? [question reçue le 7 février 2013]

Mais est-ce si nouveau que cela ? Et s’agissant de la désacralisation du message politique et de l’homme politique traditionnel, je soupçonne le journaliste de manquer d’une culture médiatique élémentaire qui autrement lui ferait voir comment des médias « traditionnels » ont largement entamé le processus depuis une trentaine d’années (de Giscard à l’accordéon jusqu’aux pitreries contemporaines au Grand Journal ou dans On n’est pas couché, en passant par l’interview de Michel Rocard par Thierry Ardisson…)

Que pensez-vous du phénomène « spotted » sur Facebook, qui voit les membres d’un campus, d’un lycée ou d’un collège poster des petites annonces amoureuses sur une page de manière anonyme et détaillée pour déclarer leur flamme à quelqu’un du même cercle ? Quels sont les problème que ce nouveau phénomène peut créer surtout pour les plus jeunes (collège, lycée) ? [question reçue le 4 février 2013]

A nouveau, je répondrais que d’une part le phénomène n’est pas nouveau, en particulier chez les collégiens et les lycéens, qui recourent depuis des temps immémoriaux à des tiers ou des « médias » pour « déclarer leur flamme », et souvent de façon anonyme… Et d’autre part qu’il n’y a pas forcément lieu de s’en inquiéter : Céline Metton avait montré, dans son livre sur Les Adolescents, leur téléphone et Internet (Paris, L’Harmattan, 2009), comment ces outils avaient en réalité contribué à faciliter et pacifier la communication entre filles et garçons à cet âge, entre 13 et 16 ans.

Que pensez-vous de nouveau phénomène de l’irrespect qui se développe sur Internet et plus précisément sur les réseaux sociaux ? En effet nous entendons régulièrement des actualités parlant de l’irrespect sur internet comme par exemple des propos vulgaires et racistes. Pourquoi ces phénomènes ont lieu sur internet et non dans la rue ? Qui sont ces personnes ? Quelles sanctions sont prévues ? [question reçue le 6 février 2013]

Aux deux difficultés évoquées plus haut, cette question-ci en ajoute une troisième : bien sûr elle reprend le thème de la panique morale, et elle postule que le phénomène est nouveau, mais en outre elle le formule dans des termes qui sont porteurs non plus seulement d’un jugement de valeur, mais presque d’un jugement d’âge voire de classe : la dénonciation de la « vulgarité » est la forme légitime du dégoût des goûts populaires, et quant à la thématique du manque de « respect » elle emprunte son vocabulaire au discours que tiennent les vieux sur les jeunes. A plusieurs reprises déjà, j’ai pu constater que (comme dans ce dernier avatar), ce sont d’ailleurs des jeunes (étudiants, lycéens) qui dans un élan surprenant de masochisme endossent ces préjugés « âgistes ». Comment cela se fait-il ? La clé est peut-être là, au détour d’un petit élément de la formulation : « En effet nous entendons régulièrement des actualités parlant de l’irrespect sur internet »… Le souci est sans doute là, dans cette résignation des jeunes à se laisser dicter leurs façons de penser leurs propres pratiques numériques par les « médias » (lesquels ? Fabriqués par qui ?).

Les clash entre militants et hommes politiques de chaque bord sont fréquents et parfois violents (insultes, méprises…), ça va souvent trop loin, pensez-vous que dans un an pour les municipales de 2014, les « tweet clash » vont augmenter ? Est-ce que les polémiques vont empirer ? Le débat politique sera-t-il faussé ? [questions reçues le 8 février 2013]

Encore une fois, la conjonction de l’illustion de la nouveauté (ou de l’aggravation), la panique morale et le jugement de valeur… Comment considérer qu’insulter quelqu’un sur Twitter, c’est aller trop loin, et donc beaucoup plus loin qu’avant ? Un tout petit peu d’histoire politique contemporaine suffirait pourtant à rappeler que le temps n’est pas si lointain où certains différends entre hommes politiques se réglaient à l’épée… Et quant à imputer ces dérapages bien insignifiants à des propriétés particulières des nouveaux médias, là encore un peu de culture télévisuelle permettrait de relativiser : ce n’est ni sur Twitter ni sur Facebook que Tapie et Le Pen avaient été invités à enfiler des gants de boxe avant de débattre !

Qui d’autre peut répondre à vos questions ?

Habituellement, quand je réponds à mes interlocuteurs que je ne peux pas répondre à leurs questions, ils me demandent presque systématiquement de leur indiquer qui pourrait ou voudrait bien le faire à ma place… Là encore, je n’arrive plus à répondre systématiquement à ces demandes de ré-aiguillages, aussi je voudrais terminer ce billet en y regroupant quelques réflexions et indications sur les bonnes pistes à suivre…

Pourquoi pas vous ?

Cette question, ce n’est pas vous qui me la posez, c’est moi qui vous la pose. Je sais bien que l’immense majorité des journalistes n’ont pas le temps de réaliser des enquêtes approfondies sur les sujets dont ils traitent, aussi cette question s’adresse plutôt aux lycéens et aux étudiants : et si, au lieu de me poser la question à moi, vous réalisiez par vous-mêmes l’enquête empirique qui permettrait d’y répondre ? Vos « travaux personnels encadrés », surtout s’ils sont encadrés par une professeur de sciences économiques et sociales, ne devraient pas être une occasion de jouer aux journalistes en herbe, mais plutôt aux chercheurs en herbe. Les conseils que je donne ici aux profs pour enseigner les réseaux sociaux au lycée peuvent très bien profiter à leurs élèves, cela ne fait aucun doute :

http://pierremerckle.fr/2011/10/comment-enseigner-les-reseaux-sociaux-au-lycee-par-lenquete/

Pourquoi pas quelqu’un d’autre ?

Parvenus au terme de la lecture de ce long billet, vous aurez donc sûrement compris que sur de nombreuses questions qui me sont adressées, il y a parmi mes collègues beaucoup de gens bien plus compétents que moi. Ils sont probablement eux aussi très occupés, et très sollicités, mais s’il vous a semblé, à la lecture de tout ce qui précède, que vos questions se posaient effectivement, qu’elles pouvaient utilement profiter d’un éclairage sociologique, et qu’en outre il vous semble important de prolonger l’indispensable lecture préalable de leurs travaux par un entretien avec l’un-e ou l’autre, alors voici un petit annuaire récapitulatif de ces précieux collègues. J’espère simplement qu’ils ne m’en voudront pas trop de les avoir ainsi dénoncé-e-s !

Dominique Cardon

Page personnelle : http://cems.ehess.fr/document.php?id=155

Contacter Dominique Cardon : vous trouverez son adresse électronique sur sa page personnelle…

Antonio Casilli

Blog : http://www.bodyspacesociety.eu/

Contacter Antonio Casilli : http://www.bodyspacesociety.eu/contact/

Si malgré tout…

Vous avez dû donc maintenant le comprendre, je suis loin d’être le spécialiste des réseaux sociaux que vous imaginiez peut-être, juste un enseignant et un amateur curieux de ces questions. Je crois pouvoir deviner comment vous êtes arrivés jusqu’à moi, cela dit… Première explication possible : quand on tape « sociologie réseaux sociaux » dans Google, mon nom apparaît effectivement dès les premiers résultats, et mon petit livre apparaît presque tout de suite dans Google Scholar.

Pour les élèves de lycée spécifiquement, je sais par leurs courriers qu’ils peuvent également croiser mon nom dans leurs manuels de sciences économiques et sociales ou dans les cours de leurs professeurs sur cette question des réseaux sociaux, qui vient d’être introduite dans le programme de première ES. Quant aux journalistes, il y a peut-être aussi une sorte d’effet « boule de neige ». A la sortie de la nouvelle édition du livre, j’avais décidé de répondre plus souvent aux sollicitations que lors des précédentes éditions, et le résultat ne s’est pas fait attendre : d’une part les journalistes ne font pas qu’utiliser Google, ils se lisent aussi beaucoup les uns et les autres, et j’en viens probablement à être identifié comme un « bon client » sur cette question ; et d’autre part, ces citations dans la presse contribuent peut-être aussi à faire remonter mon nom dans Google…

Pourquoi moi, donc ? La question la plus importante, au fond, n’est pas de savoir comment vous m’avez trouvé, mais pourquoi vous m’avez cherché. Je ne me fais pas trop d’illusions à ce sujet, et je me doute que ce n’est pas principalement parce que vous avez trouvé mon livre formidable : dans la plupart des cas – vous pouvez bien vous l’avouer à vous-mêmes, personne n’en saura rien je vous rassure – vous ne l’avez pas lu, ni même eu entre les mains. Je sais bien que ce que les uns et les autres – les journalistes à coup sûr, les élèves de lycée plongés dans la réalisation de leurs « Travaux personnels encadrés » (TPE) souvent aussi – recherchent en réalité, au moins autant sinon clairement plus que des réponses à leurs questions, c’est la certification d’une autorité légitime. Dans la plupart des cas, ce que les journalistes veulent seulement, c’est pouvoir faire suivre une citation aussi courte que possible, et parfois prélevée un peu aléatoirement dans mes propos, de : « …explique le sociologue Pierre Mercklé, spécialiste des réseaux sociaux ». Et pour les élèves, c’est un peu la même logique qui prévaut, afficher l’interview d’un « expert » au tableau de chasse, ce qui est un indice un peu embêtant d’un glissement de l’exercice vers la logique journalistique plutôt que vers celle de la recherche.

La foire aux questions ci-dessus n’a donc probablement pas satisfait celles et ceux d’entre vous qui voulaient juste mettre mon nom dans leur article ou leur devoir.  Mais pour les autres, j’espère qu’elle leur aura été utile : déjà pour savoir si les questions qu’ils se posent sont des questions qui se posent (du point de vue sociologique, je veux dire), ou si ce sont surtout des questions qui posent… des problèmes ; ensuite, pour identifier quelques pistes à explorer pour commencer à en trouver les réponses…

J’emprunte à nouveau au billet d’Howard Becker les derniers mots de ce pensum : si vraiment vous avez lu les livres et les articles mentionnés plus haut, prolongé vos lectures par quelques autres indiqués dans ces travaux, et qu’il vous reste des questions sans réponse, et qu’il ne s’agit pas seulement pour vous d’afficher mon nom dans un article ou un devoir, alors bien sûr vous pouvez me poser ces questions !

Pour me joindre, le plus simple c’est d’utiliser ce formulaire, les messages me parviennent sans problème :

http://pierremerckle.fr/me-contacter

En attendant… Bonnes lectures !

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