Comme je le faisais remarquer au détour d’un billet publié ici en novembre dernier, le texte considéré par beaucoup comme l’acte fondateur de l’analyse des réseaux sociaux n’est toujours pas traduit en français. Il s’agit de l’article publié par John A. Barnes (1918-2010) dans la revue Human Relations en 1954, et intitulé « Class and Committees in a Norwegian Island Parish »[1].
Parti à la recherche des principes de la stratification sociale au sein de cette communauté qui constituait sont terrain de thèse, l’anthropologue britannique John A. Barnes a justement dû inventer la notion de « social network » (réseau social) pour essayer d’expliquer pourquoi les habitants de l’île, pris dans des relations serrées d’interconnaissance, se considéraient presque tous comme appartenant à une vaste et unique classe moyenne. Ce faisant, non seulement Barnes « invente »[2] la notion de réseau social, mais surtout, en moins d’une vingtaine de pages, il formule quelques unes des hypothèses les plus fondamentales dont la vérification empirique va déterminer le programme de la sociologie des réseaux sociaux des décennies suivantes.
Cet article formidable, fondateur à plus d’un titre, n’est malheureusement pas vraiment disponible en ligne[3], et n’a jamais été traduit en français. « Il faudrait que quelqu’un s’y colle ! », écrivais-je au mois de novembre, avec une petite idée derrière la tête, que je vous propose de concrétiser désormais : je vous propose de participer à une expérience assez inédite, au moins en sciences sociales, de traduction collaborative en ligne de cet article ! L’idée en est très simple : nous nous fixons un rendez-vous dans quelque temps, pour une période relativement courte dans le temps (probablement une journée), au cours de laquelle nous nous retrouvons en ligne, aussi nombreux que possible, pour traduire ensemble en français l’article de John A. Barnes. Ce « traducthon » pourra réunir certains d’entre nous physiquement, par exemple dans une salle de l’ENS de Lyon où nous pourrons nous rassembler autour d’une connexion wifi avec nos ordinateurs portables, nos dictionnaires, des sandwiches et des petits gâteaux ; et toutes celles et tous ceux qui le souhaiteront pourront nous rejoindre « virtuellement », puisque nous utiliserons tous un seul dispositif commun de traitement de texte collaboratif du type Etherpad ou Google Documents, où figureront à la fois le texte original en anglais et en regard la traduction en cours.
Mais avant de « traduire ensemble », il va nous falloir… acheter ensemble les droits de traduction de l’article ! Le tarif initialement demandé par le service des « permissions » de Sage pour la publication électronique non-commerciale de cette traduction était de 200 dollars, mais après discussion, Valerie Bernard, la responsable du service, a très gentiment accepté de ramener ce tarif à 150 dollars.
Au cours d’aujourd’hui (environ 1,3 euro pour 1 dollar), il nous faut donc rassembler 115 euros. Comme l’idée est d’expérimenter notre capacité à mener de bout en bout cette opération intellectuelle de façon collective, je vous propose donc de créer une cagnotte où nous allons rassembler cette somme (je vous promets de ne pas m’enfuir en Suisse avec ce fabuleux pactole) !
Je vous propose donc le calendrier suivant pour cette opération « Traduire Barnes ensemble » :
- Sans plus attendre, vous n’hésitez pas à faire connaître votre enthousiasme pour cette opération, en le proclamant dans les commentaires de ce billet, et surtout en diffusant autour de vous l’information à toutes celles et tous ceux qui seraient susceptibles d’y apporter leur contribution !
- D’ici la fin de la semaine, et pour une période de 10 jours environ, je mets en place un dispositif de cagnotte collective en ligne nous permettant de contribuer, chacun-e à la mesure de notre envie et de nos moyens, au paiement des droits de traduction, à concurrence de 120 euros (les 115 euros des droits de traduction, plus 5 euros de commission perçus par le service en ligne permettant de collecter cette cagnotte).
- Au terme de cette période, j’organise un Doodle qui permettra à toutes celles et tous ceux qui sont intéressé-e-s d’indiquer les jours où il seraient disponibles pour le traducthon Barnes, dans une période probablement comprise entre le 27 février et le 27 mars (voir ce billet).
- Quelques jours avant la date retenue, je mettrai en ligne la version anglaise de l’article de Barnes, de façon à ce que chacun-e puisse le lire, et que nous puissions avoir tous ensemble une discussion préalable sur la traduction des termes les plus importants et des notions les plus récurrentes.
- Le jour dit, celles et ceux qui pourront être à Lyon se retrouveront à l’ENS de Lyon à partir de 9h30, dans une salle équipée d’une connexion wifi, et les autres se joindront à nous par la magie d’Internet, et tous ensemble nous traduirons le texte en direct et en ligne.
- Une fois la traduction achevée, et révisée collectivement, elle sera publiée en ligne en libre accès, probablement sur Liens Socio.
- Si l’expérience vous a plus, on peut imaginer la recommencer avec un autre article…
Voilà, c’est parti ! Propagez la bonne nouvelle, et n’hésitez pas à utiliser les commentaires pour partager vos remarques, vos suggestions, vos questions…
Et rendez-vous demain pour remplir la cagnotte !
Les articles suivants :
Traduire Barnes ensemble, étape 2 : la cagnotte !
Traduire Barnes ensemble, étape 3 : le Doodle !
Traduire Barnes ensemble : ce sera le vendredi 9 mars 2012
[edit]
31/01/2012 :
Laurent me signale que l’article de Barnes est en réalité disponible en ligne : le sociologue américain Barry Wellman, grande figure de l’analyse des réseaux, l’a numérisé et mis en ligne dans un coin de son site personnel, à cette adresse :
http://homes.chass.utoronto.ca/~wellman/gradnet05/barnes%20-%20CLASSES%20AND%20COMMITTEES.pdf
Ainsi, vous pourrez le lire dès maintenant (mais ne trichez pas, ne commencez pas à le traduire dès maintenant, sinon l’expérience collaborative perdra un peu de son piquant).
[1] BARNES John A. (1954) « Class and Committees in a norwegian Island Parish », Human Relations, 7, pp. 39-58.
[2] Il est d’usage de considérer que cet article propose la première occurrence connue de la notion de « social network », qui a depuis connu le succès que l’on sait. Cette primauté n’est pourtant pas totalement certaine : une consultation de Google N-Gram Viewer indique en effet des occurrences antérieures à 1954, certaines remontant à la fin du XIXe siècle. En réalité on peut considérer plutôt qu’avec cet article, Barnes est u