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Sciences sociales 2.0 : la preuve par l’exemple

par Pierre Mercklé le 24 novembre 2011 · aucun commentaire

dans Epistémologie,Humanités numériques,Médias,Recherche,Sociologie

photo : Yann Calbérac

Après quelques jours de récupération, le moment est venu de dire tout de même quelques mots du dixième anniversaire de Liens Socio, célébré la semaine dernière à l’ENS de Lyon. Comment fête-t-on une décennie de travail presque entièrement bénévole au service de la diffusion de l’information scientifique en sciences sociales ? En organisant une journée d’études, évidemment ! C’est ainsi que nous est venue l’idée d’organiser à cette occasion une série de rencontres et de débats, que nous avons intitulée « Sciences sociales 2.0 », et qui a donc eu lieu le jeudi 17 novembre dernier, à l’ENS de Lyon.

La révolution numérique et les sciences sociales

L’objectif de « Sciences sociales 2.0 », c’est d’essayer de tenir ensemble toutes les facettes possibles des opportunités ouvertes – mais aussi des problèmes soulevés – par l’interpénétration croissante des dispositifs numériques et des sciences sociales ? Quels sont nos usages ? Autrement dit, comment utilisons-nous les outils numériques, et quelles habitudes sommes-nous en train de prendre en les utilisant, quelles codes et quels normes sommes-nous en train d’adopter ? Comment nos pratiques et nos métiers, nos enseignements, nos recherches, et les modalités de la discussion scientifiques, s’en trouvent-ils transformés ? Et dans l’autre sens, comment les transformations à l’œuvre dans les sciences sociales, depuis une vingtaine d’années, conditionnent-elles les développements de nouveaux outils et de nouveaux usages ? Voici quelques unes des grandes questions que nous avons essayé de soulever avec « Sciences sociales 2.0 », sans prétendre évidemment y répondre, mais en essayant au moins de les formuler le plus précisément possible, et d’en détailler tous les enjeux.

Je ne sais pas si nous y sommes parvenus, et j’étais certainement trop immergé dans la discussion pour m’en faire une idée suffisamment objective, mais au moins à titre très personnel et très égoïste, et même si je devais aussi surveiller le chronomètre en même temps, j’ai été passionné par ce que j’ai entendu. Dans l’ensemble, les interventions, tout comme d’ailleurs les discussions qu’elles ont suscitées avec le public nombreux rassemblé dans l’amphithéâtre de l’ENS de Lyon, ont su se tenir à égale distance de la technophilie et de la technophobie, pour chaque fois proposer des descriptions fines des outils et de leurs usages, tout en les reliant aux contextes de leur développement, pour s’efforcer ensuite de mesure leurs effets sur le travail des sciences sociales.

Je ne vais pas ici essayer de vous proposer un résumé des contenus des débats de « Sciences sociales 2.0 », dont vous pouvez découvrir le programme détaillé sur le site de la journée. De l’intervention inaugurale de Pierre Mounier, le directeur adjoint du CLEO et le fondateur d’Hypotheses.org, jusqu’à la conclusion de Milad Doueihi, l’auteur de Pour un humanisme numérique, la discussion aura été trop foisonnante pour que je puisse à la fois l’animer et en rendre compte de façon suffisamment distanciée. Tout juste puis-je en dire, à ce stade, qu’elle aura permis de mesurer à quel point ces questions qu’agitent les usages numériques en sciences sociales ont à voir avec des transformations très profondes de nos métiers, des processus de construction des savoirs scientifiques, mais aussi des processus de construction des carrières, des réputations et de la légitimité dans le champ scientifique, dont les règles et les polarités se modifient rapidement. Mais sans qu’on puisse dire que ce sont seulement les outils numériques qui transforment le champ scientifique, ou seulement les transformations du champ qui engendrent les outils…

Sciences sociales 2.0 : Une expérience de discussion scientifique augmentée

Difficile donc de résumer tout cela ! Nous allons plutôt essayer, le plus vite possible, d’en rendre au contraire compte de la façon la plus extensive possible, plutôt sous la forme d’une publication collective. Mais en attendant, rien ne vous interdit en réalité de vous faire votre propre idée, grâce justement aux « traces » numériques laissées par nos débats. J’ai en effet voulu, pour à la fois expérimenter et montrer par l’exemple ce que les outils numériques peuvent faire à la communication et la discussions scientifiques. Nous avons donc mis en place, autour des débats de la journée « Sciences sociales 2.0 », trois dispositifs numériques complémentaires : une retransmission en vidéo en direct sur Internet de l’intégralité de la journée, un « bloc-notes » collaboratif en ligne, et un « hashtag », autrement dit un mot-clé (#socio2) permettant d’identifier les échanges sur Twitter concernant la journée (soit plus de 800 tweets échangés par 125 twitterers différents).

Ce dispositif permettait en quelque sorte d’effacer les frontières physiques de l’amphithéâtre et de mettre les présents et les absents sur un pied d’égalité : toutes et tous pouvaient voir et entendre les interventions, prendre des notes ensemble, et discuter les un-e-s avec les autres, partager leurs réactions et leurs questions. Le tableau ci-dessous ne saurait restituer totalement cette expérience, mais il peut donner un petit échantillon de la multiplexité de la conversation scientifique ainsi engagée, ici autour de l’intervention de Tarleton Gillespie, professeur à Cornell (Etats-Unis), intitulée « What do we overlook when we study society online? » (« Que négligeons-nous quand nous étudions la société en ligne ? ») :


Au-delà de ce trop rapide aperçu du dispositif ainsi expérimentée, je vous invite, pour vous en faire une idée plus précise, à en lire deux analyses détaillées. La première a été publiée sur son blog LASPIC par Jonathan Chibois. Son billet, intitulé « Conférences 2.0 : ubiquité et réalité augmentée », restitue l’expérience faite de ce dispositif par quelqu’un qui n’était pas physiquement présent dans la salle, mais qui a ainsi pu suivre nos travaux, et même y participer puisqu’une de ses questions, posée sur Twitter, a été relayée et posée par une participante présente dans la salle. La seconde, écrite par Mélodie Faury et publiée sur son blog L’infusoir, est intitulée « A travers champs – Sciences sociales 2.0 » : elle y restitue de son côté le point de vue de la participante, puisqu’elle a même contribué à la journée en discutant l’intervention d’Antonio Casilli ; c’est aux questions soulevées par cette intervention, consacrée aux effets des outils numériques sur les usages en sciences sociales

Ce que rien ne saurait remplacer

De quoi est-il l’exemple, voire la preuve, ce dispositif expérimental d’outillage numérique de la communication scientifique, justement appliqué à une discussion des relations entre numérique et sciences sociales ? De ce que finalement j’ai essayé de dire en conclusion des travaux de cette journée. Il montre tout à la fois les vertus de ces outils, qui facilitent la sociabilité académique et augmentent la portée géographique et scientifique des échanges, et les façons dont ils transforment les usages et les rapports au savoir et à sa production. Mais il laisse entrevoir aussi certains effets moins vertueux : le creusement, par exemple, d’une fracture entre ceux qui maîtrisent ces outils et ceux qui ne les utilisent pas ou n’en maîtrisent pas les codes ; l’accélération, aussi, des échanges, au détriment d’un temps plus long de l’analyse et de la réflexion… Sans compter la plus grande visibilité (sinon l’augmentation réelle) du bruit venant parasiter le signal scientifique : Twitter laisse voir plus facilement qu’avant la grande conversation, parfois très potache, que peuvent entretenir entre eux les auditeurs dans le dos de l’intervenant ! Ce que démontre l’expérience donc, c’est bien cette nécessité, déjà évoquée au début du billet, d’examiner les outils et leurs usages en se tenant à égale distance de la technophilie et de la technophobie.

photo : Mélodie Faury

Pour finir, dans un registre qui n’est peut-être pas si anecdotique, s’en tenir à ce dispositif de participation à distance, c’est se priver de certaines rétributions que seule permet la présence physique, comme en particulier celle de l’accumulation de capital social dans le champ académique dont les pauses et le déjeuner sont habituellement le théâtre bienveillant. Sans oublier « les grandes rigolades autour d’une bière dans le TGV de retour », évoquées par un participant de la journée, Pierre Mounier, dans un commentaire posté sur le billet de Jonathan Chibois ; ou le champagne et les joyeux ragots du dîner d’anniversaire de Liens Socio, la veille au soir dans un bon restaurant de poissons pas loin de l’ENS de Lyon… Pour tout cela, il faudra continuer de se déplacer !

Liens utiles

Le site internet de la journée « Sciences sociales 2.0 » :
http://www.liens-socio.org/socio2

Le bloc-notes collaboratif :
http://pad.nozav.org/ro/r.rLiMyjBZtE4YbRa8
et en version PDF :
http://infusoir.hypotheses.org/files/2011/11/etherpad_socio2.pdf

Le hashtag #socio2 sur Twitter :
https://twitter.com/#%21/search/%23socio2
(et une sauvegarde peut-être plus facile à consulter ici)

« Conférences 2.0 : ubiquité et réalité augmentée », le billet de Jonathan Chibois
http://laspic.hypotheses.org/208

« A travers champs – Sciences sociales 2.0 », le billet de Mélodie Faury
http://infusoir.hypotheses.org/1878

photo : Afifa Zenati

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